Paul Zahiri : Un Penseur Visionnaire pour l’Afrique, une Interview par Issa Sangaré.

Paul Zahiri est un professeur et analyste ivoirien renommé, connu pour ses réflexions profondes sur les crises sociopolitiques et militaires en Afrique noire. Son travail met en lumière le déclin de la connaissance et la marginalisation de la communauté scientifique en Afrique, tout en appelant à une réaffirmation du rôle des intellectuels et à une éducation renforcée pour contrer l’analphabétisme et restaurer une gouvernance éclairée.

Issa Sangaré : Monsieur Paul Zahiri, on entend souvent dire : « Oh, il n’a rien. Oh, il parle, mais il n’a rien. » Qu’est-ce que cela vous inspire aujourd’hui, face à la jeunesse ivoirienne ?

Paul Zahiri : Vous voyez, Issa, la jeunesse aujourd’hui trouve souvent ses modèles à l’extérieur de la famille. Pour rattraper cela, il faudrait, conceptuellement parlant, une insurrection.

Issa Sangaré : Une insurrection ? Vous parlez d’une révolte ?

Paul Zahiri : Oui, mais j’y viens : une insurrection de ceux qui aspirent à nous guider. Parce qu’aujourd’hui, le concept même de politique a été dévoyé. La politique est devenue un simple moyen d’accès au pouvoir, à travers la compétition électorale.

Issa Sangaré : Pourtant, les constitutions prévoient la création de partis politiques pour aller à la conquête du suffrage universel.

Paul Zahiri : Justement, ce n’est pas cela la politique à l’origine. La politique, c’est aussi décider des options essentielles d’un peuple : ce qui fait de lui un peuple victorieux, un peuple en progrès, un peuple qui apporte le bien-être à sa population et qui insère sa jeunesse dans un projet commun.

Issa Sangaré : Mais aujourd’hui, cette jeunesse semble instrumentalisée, réduite à un outil de la « politique politicienne », non ?

Paul Zahiri : Exactement. Parce que la politique est devenue de la cybernétique : l’art de rassembler des foules et de les mettre en mouvement. Aujourd’hui, si vous pouvez rassembler des foules, comme Sangaré et Rousseau l’ont montré, on croit que vous êtes un homme politique. Mais on oublie les fondamentaux.

Issa Sangaré : Revenons donc à ces fondamentaux.

Paul Zahiri : La politique, c’est la quête du pouvoir, oui, mais avec un objectif collectif. Or aujourd’hui, elle est dévoyée. Et ce n’est pas nouveau. Les médias y jouent un rôle énorme.

Issa Sangaré : Comment expliquer que des gens sans le moindre mandat local puissent occuper autant de place dans le paysage audiovisuel ivoirien ?

Paul Zahiri : Je regarde la télévision comme tout le monde. Certains ne sont élus de nulle part, mais on les voit partout. C’est affreux. Pourtant, ce sont eux que l’on appelle « leaders d’opinion ».

Issa Sangaré : Mais ces leaders mobilisent des foules, et ces foules sont composées de citoyens qui ont des opinions à exprimer.

Paul Zahiri : Bien sûr. Et nous avons le devoir de relayer ces opinions. Mais attention : même des bandits peuvent mobiliser une foule ! La société méprise les classes d’expérience.

Issa Sangaré : C’est-à-dire ?

Paul Zahiri : J’entends parfois un jeune dire : « Un tel a craché ses vérités ! » Mais ce jeune n’a jamais travaillé de sa vie. Il n’a jamais lu un seul traité de science politique. Et pourtant, il se croit habilité à gérer la nation. On nous le présente comme apte à gouverner, alors qu’il n’a même pas occupé la moindre fonction. Il y a un problème.

Issa Sangaré : Vous pensez qu’il faut un parcours initiatique avant d’accéder à des fonctions importantes ?

Paul Zahiri : Exactement. Moi, cela fait plus de 25 ans que je travaille. Vous savez, Issa, j’ai toujours travaillé. Mais même après tout ce parcours, je ne remplis pas un stade ! Pourtant, certains, qui peuvent remplir un stade, pensent qu’ils sont qualifiés pour gouverner.

Issa Sangaré : Selon vous, la politique ivoirienne s’est donc dégradée ?

Paul Zahiri : Oui. On est passé de la vérité de la cité chez Platon, à l’État moderne et à la Res publica, à un pouvoir donné par le peuple. Aujourd’hui, vous me rappelez que 63 % de la population ivoirienne est analphabète. Qu’est-ce que la démocratie signifie pour eux ?

Issa Sangaré : Vous dites donc que la politique n’est plus seulement l’organisation de la cité, mais une cybernétique ?

Paul Zahiri : Exactement. C’est devenu l’art de rassembler des foules et de les mettre en mouvement. Aujourd’hui, même un petit orchestre peut rassembler 5 000 ou 10 000 personnes. Et on voudrait qu’il dirige le pays !

Issa Sangaré : Ce serait la démocratie, non ?

Paul Zahiri : Peut-être, mais ce n’est pas parce qu’on rassemble des foules qu’on est qualifié pour gouverner. Les gourous religieux aussi rassemblent des foules, mais est-ce que cela fait d’eux des hommes politiques ? Je ne crois pas.

Issa Sangaré : Alors, que proposez-vous ?

Paul Zahiri : Revenir aux fondamentaux. Apprendre les bases de la politique. En 1990, j’ai entendu un leader dire à la télévision : « Quand on est de gauche, on est dans l’opposition ; quand on est de droite, on est au pouvoir. » C’est absurde ! La gauche et la droite sont des idéologies : la gauche est progressiste, la droite est conservatrice.

Issa Sangaré : Et si on ne revient pas aux fondamentaux ?

Paul Zahiri : On risque de livrer la jeunesse à la violence et à la conflagration généralisée. Il n’y a pas d’éducation sans modèle. Aujourd’hui, les modèles sont médiatisés et politisés. Toute la jeunesse ivoirienne s’identifie à des leaders dont le seul désir est le pouvoir.

Issa Sangaré : Cela crée des rivalités, n’est-ce pas ?

Paul Zahiri : Absolument. Ces rivalités se propagent partout, même dans la rue. Voyez les waro-waro, les bakas, les taxis, les hommes en costume-cravate : tous se comportent en rivaux.

Issa Sangaré : Et pourtant, tout le monde veut être président…

Paul Zahiri : Mais combien peuvent l’être ? À peine cinq personnes en cinquante ans ! Il faut réorienter la jeunesse vers la passion du savoir et de la discipline.

Issa Sangaré : Comment ?

Paul Zahiri : Trois axes :

  1. Le travail — redonner au travail sa place centrale, « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. »
  2. La défense — rétablir le service militaire pour apprendre à commander et à être commandé.
  3. Le savoir — transmettre la passion du savoir.

Issa Sangaré : Avez-vous eu des modèles, personnellement ?

Paul Zahiri : Oui, Bernard Dadié, que je fréquente encore. Qui, aujourd’hui, le regarde comme un modèle ? Ou encore Mathieu Ékra, fondateur de L’Abidjanaise. Ce texte est un sommet de poésie et de patriotisme.

Issa Sangaré : Quelles mesures concrètes préconisez-vous pour réformer l’école ?

Paul Zahiri : Des assises de l’école, pour refonder totalement le système éducatif. Enseigner le civisme, la morale, toutes les valeurs.

Issa Sangaré : Tout le monde en parle, mais rien n’est fait…

Paul Zahiri : Parce que la compétition politique est plus forte que tout. Le peuple n’est pas formé ; 60 % sont analphabètes. Comment peuvent-ils juger un programme électoral ?

Issa Sangaré : Et vous concluez comment ?

Paul Zahiri : La jeunesse est sacrifiée par un excès de dignité. Les héros de 1968 l’ont compris : c’était une grande bagarre collective. Aujourd’hui, la réussite se mesure à la possession : villa, argent, voiture. On est passé de l’« être » à l’« avoir ».

Si jeunesse savait ! Mais elle ne peut savoir que si on l’a d’abord éduquée dans la discipline. Il faut reformer l’éducation. Expliquer que chaque âge a ses possibilités et que l’exception n’est pas la règle.

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